L’open data et le grand public : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre

La question de l’appropriation des données ouvertes est, avec celle du potentiel économique, l’un des sujets chauds de l’open data. Ayant eu l’opportunité de tester plusieurs formats d’animation et de sensibilisation au cours des derniers mois, je vous propose un billet sous forme de retour d’expérience. Vos commentaires, idées et réactions sont les bienvenus !

1 – Pour le grand public, le problème dans « open data » c’est d’abord la « data »

L’infolab « données de mobilité »
(photo Ville de Rennes)

J’avais fait cette remarque à l’occasion de la Semaine européenne de l’open data qui s’est tenue à Nantes avant l’été; pour les entreprises, le problème de l’open data c’est plutôt le côté « open« , mais pour le grand public c’est d’abord l’objet « donnée » qui constitue une difficulté.

Les data sont partout autour de nous, elles sont indispensables au bon fonctionnement des services de notre quotidien (de la crèche aux transports), mais pourtant cet objet reste largement méconnu. J’ai développé dans un précédent billet les différents formats d’animation de l’open data, en particulier en fonction des cibles visées; les ateliers dont je fais mention ici visent à développer une culture de la donnée au sens large (et pas uniquement de la donnée ouverte).

2 – D’abord, partir d’une thématique (et surtout pas de l’open data)

Le proverbe dit que l’on n’attrape pas les mouches avec le vinaigre. Je trouve, toutes comparaisons malveillantes mises à part, qu’il s’adapte bien à la question de l’appropriation de l’open data par le grand public.

Faîtes l’expérience : proposez à vos amis de participer à une séance de sensibilisation aux données ouvertes. Qu’allez-vous entendre ? L’anti-geek : « oh, tu sais moi je suis pas trop branché par les trucs informatiques, cela ne m’intéresse pas trop« , l’apprenti geek : « ah oui bonne idée, justement j’avais des problèmes avec Open Office… tu me parles bien de cela, non ?« , la père divorcé : « Ah oui, cela aurait été avec plaisir mais à cette heure-là j’ai kiné/piscine/les enfants à aller chercher à l’école, parce que tu connais mon ex, hein…« .

Je caricature un peu mais vous avez compris le message : l’open data pour l’open data, cela n’attire pas les foules ! L’une des pistes, pour sensibiliser à la culture de la donnée, est de partir d’un thème auquel chacun puisse facilement s’identifier. On n’invite pas à « découvrir l’open data » mais à parler du jardin botanique, des déplacements en vélo dans la ville, ou encore des prénoms. Le thème n’est pas qu’un « hameçon« : je l’ai choisi parce qu’il correspond à chaque fois à des jeux de données déjà ouverts… Ce n’est pas seulement un prétexte, c’est une opportunité pour parler des données, à travers des exemples concrets et accessibles.

3 – Les médiations

Les trois ateliers que j’ai eu le plaisir d’animer à Rennes durant l’évènement Viva-Cités auront permis de tester plusieurs formes de médiation. Le format est de type infolab éphémère : un lieu, un temps déterminé, une méthodologie d’animation pour « faire des trucs » avec l’open data.

Ces trois ateliers, bien qu’ayant des approches très différentes, ont des points communs : aucun participant n’avait à manipuler un ordinateur. On a utilisé des photographies, des plans, des crayons de couleur, des gommettes, … Tout pourvu que l’on n’ait pas besoin d’informatique ! Tous les ateliers ont commencé par des mises en situation, afin que chaque participant puisse faire sien le sujet que nous allions aborder.

Trois exemples de question que j’ai posé en introduction : « Pourriez-vous me dessiner votre parcours-type lorsque vous allez au Jardin du Thabor ?« , « Comment peut-on se déplacer aujourd’hui à Rennes ?« , « Quels sont les prénoms qui figurent sur vos papiers d’identité ?« …

Cette introduction a souvent permis de briser la glace entre les participants qui ne se connaissaient pas avant l’atelier. Elle a surtout permis d’éviter le tour de table des présentations un peu formelles. En effet, j’avais invité sur chacun des ateliers un représentant des services de la Ville en relation avec le jeu de donnée qui nous intéressait… et je ne souhaitais qu’ils se placent, ou soient placés par les autres, « hors du groupe« .

Nous avons ensuite utilisé des méthodes et des supports d’animation très différents pour chaque atelier. Pour celui concernant le Jardin du Thabor, j’ai distribué une cinquantaine de tirages de photographies que j’avais réalisé. Nous avons décrit chaque photo puis placé sur le plan du jardin ces différents « points d’intérêts » (les arbres, les statues, les toilettes, les entrées et sorties du parc…).

L’atelier sur les déplacements s’est déroulé sous le mode d’une chasse aux données. Chaque groupe est parti équipé d’un kit comprenant une photo aérienne du quartier, des gommettes de couleur et des instructions pour prendre des photos sur le mode « rapport d’étonnement ». Enfin, pour le dernier atelier j’avais imprimé sur des grandes feuilles A3 la liste des prénoms les plus populaires (toujours dans l’idée de ne pas avoir à utiliser un tableur Excel…).

4 – Au programme de ces infolabs

Chaque atelier aura permis d’aborder une ou plusieurs facettes des données ouvertes.

L’infolab « Thabor » a montré la richesse et la diversité des sources de données (publiques avec le portail open data de la Ville, mais aussi collaboratives avec la carte Open Street Map). Nous avons insisté sur la possibilité de mixer deux sources de données pour donner naissance à une troisième (à l’instar de la carte des arbres allergènes du parc, réalisée à partir du mix entre la localisation et l’espèce des arbres et la liste des espèces allergènes publiée sur le site de l’ADEME).

L’infolab « données de mobilité » était une invitation à ouvrir l’oeil (et le bon !) pour découvrir les données, signes et informations pertinentes pour se déplacer dans un quartier. Nous avons pu faire le lien entre un objet concret (un ascenseur), la donnée ouverte le concernant (l’état de fonctionnement interrogeable sous la forme d’API) et surtout sa réutilisation possible. J’avais déjà proposé cet atelier à Rennes, Nantes et Marseille et pourtant je continue encore à découvrir de nouvelles choses en observant les participants : par exemple le fait que la majorité des signes s’adressant aux piétons sont des injonctions négatives : « attention travaux, traversée obligatoire pour les piétons », « zone interdite aux piétons », « le petit bonhomme est rouge, on ne passe pas », …

Infolab prénoms
(photo Franck Hamon / Ville de Rennes)

L’infolab « prénoms » aura surtout mis l’accent sur la lecture critique des données (où naît-on vraiment ? comment le fichier est-il constitué ? pour quel usage initial ?). Nous avons aussi pu voir concrètement que chaque visualisation est l’objet d’une intention (ce que l’on veut montrer) et que la manière dont les données sont mises à disposition a un impact sur les réutilisations possibles…

Bref, nous avons essayé de poser les bases d’un programme pédagogique (lire / écrire / compter) pour des  infolabs « culture de la donnée ». C’est bien, maismais… j’entends déjà la question qui se murmure dans le milieu de l’open data :

5 – … à quoi cela sert tout cela ?

La première critique concerne le type de donnée auquel je me suis intéressé. La seconde à l‘ambition qui est poursuivie.

« Les données sur les arbres, ça sert à rien, ce qu’il faut ce sont des **vraies** données sur la transparence des budgets » : ainsi s’exprimait l’ancien président du Conseil national du numérique. J’ai déjà entendu ce point de vue : il y aurait des données « bonnes à ouvrir » et puis les autres, le jugement dépendant bien sûr de celui qui l’exprime. « Il nous faut des données **utiles** » a précisé un intervenant britannique lors de la dernière conférence parisienne sur le sujet. Qu’est-ce qu’une donnée utile ? Celle avec laquelle on peut faire des applications mobiles ? Des applications mobiles rentables ? Celle qui nous sert à appuyer la thèse que l’on défend ? Celle qui est populaire ? …

Bien sûr, il faut des données sur la transparence budgétaire ! D’ailleurs, certaines collectivités qui proposent la localisation des arbres (ou les prénoms populaires) proposent aussi ce type de jeu de données. Est-ce qu’il faut encourager les acteurs publics à ne publier que des données sur les prénoms ? Non ! Est-ce qu’il faut clouer au pilori celles qui publient aussi ce genre de données ? Non, non plus !

La seconde critique tient à l’ambition que l’on se fixe : est-ce que je crois sérieusement qu’un atelier sur les prénoms va répondre à la promesse de capacitation citoyenne et de renforcement démocratique de l’open data ?

Mon ambition n’était pas celle-là, il s’agissait juste d’essayer de transmettre deux ou trois idées sur les données ouvertes et leur intérêt (et malheureusement, cela aurait été plus difficile à faire avec les données budgétaires). Je suis convaincu que nous avons besoin de multiplier les formes d’animation autour du sujet, que ce soit vers les associations, les entreprises ou le grand public.