Mais pourquoi contribue-t-on ?

La question des motivations revient dès que l’on évoque les mécanismes de contribution dans l’open data ou les données collaboratives. On a parfois du mal à comprendre pourquoi des individus a priori sains de corps et d’esprit consacrent une partie de leur temps libre à ce type d’activité, qu’il s’agisse de développer une application mobile sans grand espoir de gain, ou de cartographier son quartier pour Open Street Map…

Les processus contributifs et participatifs sont au coeur de l’open data. Dans le concours organisé par Rennes Métropole en 2010, deux tiers des participants étaient des particuliers. Il y avait certes parmi eux quelques apprentis entrepreneurs et quelques rares militants de la cause du logiciel libre et de l’open source, mais plus généralement les motivations n’étaient ni pécuniaires ni politiques. Dès lors, pour sortir de l’image d’Epinal du geek à la vie sociale (entendez : vie sexuelle) limitée, il m’a semblé intéressant de se pencher sur la question : mais, diable, pourquoi contribue-t-on ?

1 – Une approche par les motivations : mais pourquoi contribuez-vous ?

Une recherche sur le sujet à partir de la littérature scientifique (références des travaux universitaires utilisés à la fin de ce billet) m’a permis de recenser quelques ressorts de la motivations des contributeurs.

En résumé, les grandes catégories de motivations sont :

– la réciprocité : « je le fais parce que j’aimerai qu’on le fasse pour moi »
– le sentiment d’utilité : « je le fais parce c’est utile pour moi / pour ma communauté »
– l’appartenance, l’identité, l’affiliation : « je le fais parce que je crois aux valeurs du projet / ça me ressemble / ça me constitue / en opposition à quelque chose »
– le jeu et l’apprentissage : « je le fais parce que c’est amusant / parce que j’apprends des choses »
– la recherche du gain (direct ou indirect) : « je le fais parce que je vais y gagner quelque chose, plus ou moins directement »
– la réputation : « ce que je fais contribue aussi à ma réputation sur le sujet »
– le sentiment de communauté : « avec QUI je partage est aussi important que CE QUE je partage »

Bien entendu ces motivations sont aussi à mettre en relation avec deux autres facteurs :

– la dimension sociale : avec qui je partage ma contribution : des gens que je connais ou j’apprécie, des proches, des inconnus, tout le monde, …
– et enfin la dimension temporelle : dans quelle situation je me trouve à ce moment-là. Je peux être contributeur à un moment donné et pas du tout à un autre moment, sur le même sujet.

2 – Ni Mère Theresa, ni Rockfeller : des pratiques et des niveaux d’engagements variés

Les entretiens que j’ai pu mener auprès des développeurs qui participent à l’open data font bien apparaître une grande variété dans les motivations, ni totalement altruistes, ni totalement orientées vers la recherche d’un profit immédiat. Le jeu, l’apprentissage, la recherche de la notoriété (gagner le concours, ce n’est pas seulement toucher un chèque), la compétition aussi (faire mieux que le voisin) sont des motivations courantes.

J’ai aussi noté que, pour nombre de développeurs locaux, le fait que le concours se passe dans leur ville de résidence (ou de travail) n’était pas anodin. Les sentiments d’appartenance, d’utilité et de communauté se combinent : je développe une application utile pour les habitants de ma ville… parce que j’y habite aussi. D’après l’enquête menée par Socrata aux Etats-Unis, le sentiment d’utilité était l’une des toutes premières motivations citées par les réutilisateurs.

Message donc à ceux qui voient en eux de doux rêveurs qui se font gentiment exploiter : la plupart des réutilisateurs sont bien conscients que la fortune n’est pas au bout de l’App Store…

3 – Ne pas sous estimer le facteur d’opposition

Il est un facteur que j’ai souvent vu à l’oeuvre, de manière plus ou moins explicite dans la production de données collaboratives : l’opposition. Se donner un ennemi commun c’est un bon moyen de se fédérer (c’est aussi valable dans d’autres domaines : j’en tiens pour preuve le « tout sauf Sarkozy » ou le « tout sauf Ségolène » en 2007).

Open Street Map est souvent cité comme le meilleur exemple des processus contributifs, au même titre que Wikipédia. Au-delà de leur engagement pour une connaissance plus libre, il y a aussi bien sûr une part d’opposition à un ordre établi. Pour OSM, il me semble clair que l’opposition à Google – et à l’IGN – a pu (peut encore ?) jouer un rôle de motivation pour certains contributeurs, comme en témoignent les débats pour l’adoption de la licence ODbL.

La contribution ne se limite pas à Open Street Map ou à Wikipédia, on la retrouve parfois dans des actes en apparence plus anodins ou moins engageants. Ainsi, j’ai étudié l’an dernier l’émergence de comptes Twitter d’alertes contrôleurs dans les principaux réseaux de transport urbain de France. Ces comptes, créés et alimentés par des particuliers fournissent une information précieuse : la localisation des contrôles en cours dans le métro, le tram ou les bus. J’ai été frappé par le profil de la plupart des contributeurs et organisateurs de ces comptes : soit ils ne sont pas utilisateurs du réseau de transport, soit ils l’utilisent mais sont abonnés. En clair : ils ne sont pas a priori les destinataires du service et n’ont pas d’intérêt personnel à la fraude !

Il y a clairement dans cette pratique une part de jeu, mais aussi d’appartenance et d’opposition à un « ennemi » commun : l’exploitant du réseau de transport (« fuck la RATP !« ). Je me suis enfin souvenu que, sur la route des vacances, mon père pratiquait l’appel de phares entre conducteurs, une pratique non recommandable dont l’alerte contrôleurs pourrait être le pendant numérique. Pourquoi faisait-il celà ? Bien sûr pour la réciprocité attendue (« je le fais parce que j’aimerai que l’on fasse pour moi), le jeu, l’appartenance à la communauté des conducteurs qui ont déjà payé une amende pour excès de vitesse, mais aussi bien sûr par opposition au gendarme. Précisons enfin pour conclure que le père de ma mère était gendarme. Donc, si mon propre père faisait des appels de phare, c’était sans doute aussi un peu pour emmerder ma mère. Une motivation bien réelle mais qui dépasse largement le cadre de ce billet 😉

— Quelques lectures scientifiques que je vous conseille si le sujet vous intéresse :

«Mere Belonging» Gregory Walton et alii., Journal of Personality and Social psychology 2012 et «Motivation, reward size and contribution in idea crowdsourcing»,  Oguz Ali Acar, paper to be presented at DIME Conference 2011, Denmark

2 réflexions au sujet de « Mais pourquoi contribue-t-on ? »

  1. Je pense également qu’il s’agit d’une excellente « expérience utilisateur », intéressante et valorisante car démontrant sa capacité à produire des éléments de connaissance. Le premier lecteur d’une contribution est celui qui écrit… (comme moi, là tout de suite 🙂

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