Le groupement des autorités responsables des transports (GART) vient de prendre publiquement position en faveur de l’instauration d’une redevance liée à l’usage commercial des données du transport public.Le sujet est loin d’être anodin pour l’open data ! Comment concilier innovation et contribution, sans jeter le bébé avec l’eau du bain ?
1 – « Une utilisation à des fins commerciales qui pose question »
Le communiqué du GART fait mention dès les premières lignes du mouvement d’ouverture des données (open data) qui « vise avant tout l’émergence de services innovants et le développement d’initiatives locales » (souligné par mes soins). Mais les données ainsi ouvertes intéressent aussi « tout particulièrement les opérateurs de transport, les géants du web (moteurs de recherche tels que Google, sites web ou acteurs de l’industrie informatique comme Apple) qui monétisent ces informations via l’intermédiaire de la publicité« . Le texte indique par ailleurs que l’utilisation à des fins commerciales de ces données pose question, eu égard au financement de leur production par les autorités organisatrices des transports.
Il y a beaucoup d’idées dans les quelques lignes de ce communiqué, je vais essayer de les clarifier en les étudiant une par une.
Premier élément : l’open data, cela sert à faire émerger des initiatives locales (comprendre : des petites choses bien sympathiques par de gentils contributeurs locaux). Second point : attention les données intéressent aussi des grands acteurs du numérique (Google, Apple) et « des opérateurs de transport » (par exemple la SNCF qui pourrait intégrer dans ses services web des données issues des AOT ?). Troisième point : c’est choquant que ces données fassent l’objet d’une réutilisation commerciale alors que les ré-utilisateurs ne contribuent pas à leur financement.
On retrouve, dans ce troisième point, l’écho des discussions houleuses en cours entre Google et une partie des éditeurs de presse sur le partage des revenus publicitaires liés au service Google Actualités.
Là où le bât blesse me semble-t-il c’est que les données des transports dont nous parlons ici sont juridiquement des données publiques. La commission d’accès aux documents administratifs, dont l’avis avait été sollicité par l’AFIMB l’avait bien confirmé pour les données des horaires théoriques par exemple. Le législateur européen (directive de 2007) a introduit un principe de non-discrimination selon l’usage commercial ou non-commercial des données publiques.
En résumé : si les données du transport public sont des données publiques (à la CADA de le préciser), on ne peut pas justifier l’instauration d’une redevance uniquement par le fait que la réutilisation génère des revenus commerciaux (notamment via la publicité). Dura lex sed lex …
Reste l’argument moral : pourquoi laisser des tiers (hormis peut-être les gentils développeurs locaux déjà mentionnés) faire de l’argent sans leur demander de contribuer au bon fonctionnement du système ? Cette question-là me semble beaucoup plus intéressante !
2 – Google, le passager clandestin de l’information transport
Il n’y point de hasard dans le fait que le communiqué du GART désigne Google parmi les « passagers clandestins » de l’information transport. J’ai déjà eu l’occasion dans mon ouvrage (Open Data, comprendre l’ouverture des données publiques) d’expliquer le rôle de Google dans le domaine de l’information voyageur.
Le géant américain intervient à plusieurs niveaux de la chaîne. Il a porté sur les fonds baptismaux le format d’échange de données GTFS (General Transit Feed Specifications dont le G signifiait initialement Google) aujourd’hui largement utilisé dans les initiatives d’ouverture des données transport. Son service Google Transit propose du calcul d’itinéraires sur le web et les smartphones. Enfin, il ne faut pas être devin pour imaginer qu’à terme Google puisse intervenir lui aussi sur le marché des transports, par exemple en vendant directement des titres de transport via Google Wallet.
Plus généralement, il y a je pense une grande méfiance de la part du secteur des transports vis-à-vis de Google, méfiance partagée tant par les financeurs que par les exploitants. La tribune publiée à la rentrée par le P-DG de la SNCF évoquait la « dangereuse hégémonie des géants du Net et de leurs services commerciaux« .
Risquons ici une opinion personnelle : je pense que l’on tolère d’autant plus mal les « passagers clandestins » du numérique que Google, Apple et autres multinationales du numérique pratiquent une « optimisation fiscale » (un terme politiquement correct pour désigner les stratégies légales pour réduire l’impôt) qui commence à choquer, et pas seulement dans l’Hexagone (voir à ce propos les enquêtes détaillées et édifiantes de BFMTV et de Bloomberg, deux sources pourtant très business-friendly). En ces temps de disette des finances publiques, on comprend aisément que de telles pratiques puissent irriter…
Il y a donc une vraie question posée à ces entreprises mais pour autant il me semble que la position du GART risque, en voulant les cibler, de pénaliser une dynamique encore naissante en France autour de la réutilisation des données transports, dynamique qui n’est pas uniquement portée par des géants du Net.
3 – Des services utiles… pour qui ?
Prenons les quelques agglomérations qui ont ouvert leurs données transport en France. Pour Rennes ou Nantes par exemple, combien d’applications développées par des développeurs tiers pour une application officielle ? A qui servent ces applications ? A ceux qui les utilisent bien sûr, mais pas uniquement me semble-t-il.
De tels services d’infomobilité renforcent l’attractivité du transport public, et c’est bien un objectif partagé par les autorités responsables des transports. Combien de collectivités auront l’envie, les moyens et la créativité de développer un service de calculateurs d’itinéraires pour personnes à mobilité réduite à l’instar d’Handimap ? Combien d’autorités organisatrices des transports sont organisées pour développer des applications mobiles pour un nombre croissant de plateformes ? Dès lors, la position du GART suscite au moins trois interrogations :
– Pourquoi prendre le risque, en voulant cibler les « passagers clandestins » de décourager l’émergence de nouveaux services par de nouveaux entrants ?
– Pourquoi vouloir limiter l’open data à des initiatives locales non-marchandes et ne pas encourager les économies d’échelles pourtant bien nécessaires pour assurer la pérennité de ces services ?
– Pourquoi demander au gouvernement un projet de taxe sur l’usage commercial des données transport plutôt que la mise en place d’un référentiel commun d’ouverture de ces données, valable partout sur notre territoire ?
4 – Des pistes pour concilier innovation et contribution … et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
Comment dès lors concilier la possibilité d’innover avec la contribution au financement du système ? Des solutions existent et elles dépassent largement l’idée d’une redevance telle que la propose le GART.
Première piste : si la cible c’est Google, alors ouvrons les données transport en privilégiant une licence OdBL ! Le moteur de recherche n’aime pas beaucoup les obligations liées à cette licence – et c’est d’ailleurs l’une des raisons de son adoption par Open Street Map (mémo : regardez aussi la licence utilisée par la SNCF).
Deuxième piste : une tarification à l’usage sans barrière à l’entrée. On peut imaginer que, pour couvrir les frais de mise à disposition des données temps réel via des API, on mette en place une tarification double : gratuite jusqu’à X requêtes (par jour, par minute, …) puis payante pour les utilisateurs les plus gourmands. C’est d’ailleurs exactement le modèle mis en place par Google lui-même pour son service Google Maps !
Troisième piste : distinguer l’usage des données et l’usage des éléments de marque. Plusieurs réseaux de transport publics étrangers, et notamment le MTA (New-York) et TfL (Transport for London) font contribuer les ré-utilisateurs non pas sur la donnée mais sur l’usage des éléments de marque : le logo du réseau, les codes graphiques, le nom, … New-York par exemple demande aux développeurs qui souhaitent les utiliser de signer un contrat et de payer des royalties en cas d’usage commercial. En clair, si l’application est gratuite (ce qui n’interdit pas la pub !) et que le développeur ne veut pas mettre le logo du réseau dans ses écrans, il ne paie rien à personne. Et son service présente un bénéfice pour tous, autorité organisatrice incluse !
Excellent papier, comme toujours. Quelques remarques.
La piste de l’OdBL est en effet très intéressante : l’employer dès le départ permet de tester l’ouverture de données sans prendre de risque, en quelque sorte. Mais on manque aussi d’un peu de recul sur l’OdBL qui peut créer un frein à l’usage — psychologique ou pratique — également pour nos « gentils développeurs locaux ». Dans quelques années sans doute auront plus de recul pour observer les différents écosystèmes nés des licences virales d’un côté et des licences plus « libérales » de l’autre. (Je trouve positif que les deux coexistent aujourd’hui.)
La deuxième piste, qui n’exclue pas la première, est également très intéressante. On en avais déjà discuté avec Rennes avant même le lancement de leur portail. (Un détail : c’est la raison pour laquelle j’ai souvent conseillé aux collectivités des sites de type data.tartempion.fr plutôt que opendata.tartempion.fr.) Jusqu’à présent ce sujet n’est pas tellement sorti car il y a peu de données temps réel et peu de consommateurs de données. Ce ne sera pas pareil quand les serveurs des acteurs publics vont commencer à tirer la langue du fait de trop de requêtes de données temps réel. Un des arguments de l’open data a été que la diffusion était un coût marginal. Mais quand ce coût deviendra sensible, beaucoup d’acteurs vont se poser des questions. La tarification à l’usage est intéressante pour limiter les coûts des acteurs publics, mais, comme nous l’avons déjà écrit, la gratuité en deçà d’un certain seuil (raisonnablement étudié avec les utilisateurs) reste indispensable pour permettre à de nouveaux entrant de tester leurs applications/usages et leurs modèles d’existence (ie : modèle économique, travail d’étudiant, etc.).
Je ne peux m’empêcher de réagir à cet article…. pourquoi toujours diaboliser Google…
Comme toujours dans toutes ces discussions autour des données, l’usager est toujours oublié… il n’est pas cité une seule fois dans votre billet….
Je suis usager des transports publics de ma ville (Bordeaux), Keolis envoi ses données (horaires théoriques) à Google (ce n’est pas Google qui vient les chercher…) ce qui me permet en tant qu’usager de pouvoir faire sur Google Maps un calcul d’itinéraire transport en commun, piéton ou voiture en un seul clic avec une ergonomie inégalée… et potentiellement cela peut me pousser à utiliser le bus… du coup Google absorbe une partie des calculs d’itinéraires que le site officiel n’a pas à supporter et peut potentiellement amener des nouveaux clients… est il question de rémunérer google pour cela?
En tant qu’usager par contre j’ai un vrai service que l’AOT ne m’apporte pas sur son site…
Faites un tour rapide sur les principaux sites de transports en commun urbain… je pense que l’on doit arriver à plus de 90% qui utilisent GoogleMaps et son API gratuitement… qui s’insurge?
D’autre part, aujourd’hui, Google ne vient pas chercher les données (même celles en Opendata) mais ce sont les AOT qui les envoi volontairement, aujourd’hui seules quelques villes font se travail (dont Bordeaux)…. par exemple Rennes dont les données sont en OpenData depuis un moment ne sont pas intégrées sur GoogleMaps.
Accessoirement je suis réutilisateur de données sur Bordeaux (applis iBordeaux).. j’ai participé à quelques ateliers Opendata… et j’ai essayé de démontrer qu’à l’échelle d’une agglomération ces données n’était pas monétisables… les nombres d’utilisateurs potentiels est très réduit et la donnée est librement consultable (horaires papiers, site de l’aot, fiches aux arrêts…)
il faut vraiment que les AOT soient déconnectés de la réalité pour imaginer que leurs données ont de la valeur… c’est la qualité du service apporté à ses clients qui en a !
si ils veulent les facturer à Google… à mon avis Google arrêtera tout simplement de les utiliser…
Le mode de fonctionnement actuel et un mode de fonctionnement gagnant / gagnant.. pourquoi vouloir casser cela….
Merci également de m’avoir fait découvrir le billet du PDG de la SNCF qui s’alarme de l’hégémonie des géants du web… a t il déjà essayé d’acheter un billet de train sur un autre site que voyage SNCF ? Probablement pas… ça commence à peine à bouger grâce à Capitaine Train…
Des points de vues différents et justes mais des limites …..propres à les rapprocher ?
Sans usager, sans client pas de service
Sans producteur de service performant pas de service
Sans données pérennes de qualité pas de service
Sans producteur de données de qualité pas de service
Sans chiffre d’affaire pas de producteur de données de qualité
Sans chiffre d’affaire pas de producteur de services performants
Sans publicité pas de chiffre d’affaire et donc……..
De nombreuses études ont démontraient à plusieurs reprises :
– qu’il existait un lien étroit entre le volume du marché de la publicité et le PIB
– qu’ en proportion, historiquement la variation la part de la publicité dans le PIB mondial évoluait très faiblement.
Sans exclure quelques services de niche qui pourraient y parvenir durablement, espérer que la publicité pourra à elle seule financer les multiples services que nous utilisons tous, pourrait créer quelques désillusions
Je suis d’accord avec Seb sur de nombreux points et les données sur le transport public sont à mon avis un enjeu majeur des années à venir. ( Il me semble que l’on s’est croisé au BeMyApp OpenTourisme ? )
J’ai moi-même un projet d’applications mobiles assez complet sur les transports en commun et je pense effectivement qu’il y a un marché mais la publicité ne peut à elle seule proposer une rémunération suffisante pour mettre en place un vrai projet d’édition de logiciel.
Je pense qu’il faut se placer de l’autre côté : proposer une licence avec forfait à la région/exploitant et compléter le business model avec des services complémentaires ( comme la dématérialisation de titre de transports cité précédemment ).
Cela passe notamment par la création d’une marque blanche pour anticiper une distribution des coût sur plusieurs réseaux.
C’est à mon avis dans l’intérêt de la région et de l’exploitant de garder le contrôle sur ce type de service. Même si j’apprécie Google, je pense qu’il serait intéressant d’avoir un nouvel acteur indépendant pour ce type de service.
Je ferais notamment une présentation de ce projet à l’occasion de la remise des prix du concours Galileo Masters la semaine prochaine ( sur Bordeaux ). J’espère avoir l’occasion de pouvoir partager mon avis avec le conseil général de l’Aquitaine et si possible avec Keolis par la suite.
Ping : Monétiser les données du transport public… chiche ? | Open Data, les avancés et les intérêts... | Scoop.it
Ping : Monétiser les données du transport public… chiche ? | Open Data et Data Visualisation | Scoop.it
@Seb
Salut Sébastien.
Si le service de Google est inégalé c’est peut-être aussi parce que Google fait tout pour qu’il n’existe pas de concurrence. Google ne semble pas s’intéresser à l’open data et, d’après les témoignages de plusieurs acteurs publics, préfère gentiment mettre la pression sur les collectivités pour que ces dernières lui livrent les données (via ses interface à lui) : « si vous ne nous livrez pas vos données vos habitants ne pourront pas profiter de nos services qui existent déjà chez vos voisins ». Quand un acteur a une telle emprise sur son marché, je pense que ça pose problème.
Je pense même que Google préfère payer des données que les voir en open data.
@CharlesNepote
Merci Charles pour ton commentaire ou plutôt ta réponse à d’autres commentaires. J’avais déjà noté qu’il est souvent compliqué de questionner la posture de Google sans passer pour le réactionnaire franchouillard de service !
Il y a bien sûr un Google bashing permanent, mais cela n’empêche pas me semble-t-il de garder un minimum de sens critique sur cette société, comme sur les autres. Ce qui m’interpelle aussi dans ta réponse, c’est l’éclairage sur la position de Google vis-à-vis de l’open data, tant elle me semble ambivalente depuis le début du mouvement d’ouverture des données sous sa forme moderne.
Google figure parmi les sponsors de la rencontre de Sébastopol en 2007 (voir sur ce blog l’article « Comment l’open data est devenu un objet politique »), il était d’ailleurs représenté par l’un des responsables de la division marché « collectivités et secteur public ».
Il est indéniable que Google a produit et fourni gratuitement tout un tas de standards (GTFS pour les transports, entre autres), d’outils dédiés (Google Fusion Tables, Google Refine, …) ou plus généralistes (Google Docs) que nous utilisons au quotidien pour l’open data. A noter aussi l’initiative Net Lab France, qui se penche sur la question des données pour le logement, la culture ou la démocratie.
Bref, une stratégie d’influence remarquable, doublée d’un réel effort pour fournir des outils pour les développeurs…
Reste quand même, et tu l’as bien noté, que sur ses activités de producteur de données on a pas vu grand chose en open data. Les conditions d’utilisation de Google Map Maker (service de crowdsourcing pour les données géographiques) font quand même bien marrer si on les regarde sous l’angle de l’open data… Voir par exemple: http://en.wikipedia.org/wiki/Google_Map_Maker#Criticism
Tiens, ca mériterait un billet de blog tout celà !
Simon
Bonjour Simon,
Je me suis amusé à regarder sur un moteur de recherche célèbre la réalité de l' »enrichissement sans cause » qui lui serait reproché. J’ai tapé « transport public Paris », j’ai bien regardé : pas une pub, RIEN. Même pas une misérable campagne Adwords achetée par la RATP ou la SNCF. J’ai tenté « Transport public ile-de-france » : RE-RIEN. La monétisation de tout ce « rien » sera sans doute difficile…autant que de comprendre l’économie du web.