[Atelier] Comment parler des données ouvertes à des non-développeurs ?

Comment parler des données ouvertes à un public de non-développeurs ? Comment fournir les bases nécessaires pour mieux en saisir les contours, les enjeux et les limites ? Dans le cadre du séminaire Cultures numériques de Sciences Po Rennes, j’ai animé un atelier pratique qui visait à répondre, par l’exemple des données de mobilité,  à ces questions.

Une thématique : la mobilité urbaine

Le marquage au sol

J’ai choisi d’orienter cet atelier sur la thématique de la mobilité urbaine. En effet, ce thème occupe une place à part dans le domaine de l’open data :

  • les données liées à la mobilité et aux transports sont celles qui sont les plus demandées par les réutilisateurs-développeurs (tant en France qu’à l’étranger),
  • ce sont aussi celles qui font le plus souvent l’objet d’une réutilisation sous la forme d’applications mobiles, et ces dernières sont la « vitrine » la plus visible  de l’open data pour un public non-initié (voir notamment la part des applications transport dans les concours open data),
  • les confrontations entre les détenteurs et les réutilisateurs (tant professionnels qu’amateurs) préexistaient à l’open data mais se trouvent largement renforcées par le mouvement d’ouverture des données (les litiges ayant opposés la RATP ou JC Decaux à des développeurs ont alimenté la chronique),
  • enfin, le cadre juridique, technique et institutionnel est particulièrement complexe : les questions de mobilité concernent des acteurs publics multiples (à tous les échelons administratifs) mais aussi des acteurs privés (délégataires de service public ou opérateur privé hors délégation).
Le tableau des départs

Le tableau des départs

La séance réunit une vingtaine d’étudiants de Sciences Po Rennes, de l’Université Rennes 2 et de l’Ecole des Beaux-Arts. Elle débute par une question : « comment peut-on se déplacer aujourd’hui dans une ville comme Rennes ?« .

Les étudiants ont recensé plus d’une vingtaine de modes de transports différents, du métro au vélo individuel en passant par l’auto-partage ou le taxi-vélo. A mon grand étonnement, la voiture individuelle est citée en dernier dans cette liste. Faut-il y voir un signal faible ? Ou plus simplement le fait que posséder un véhicule reste un luxe pour nombre d’étudiants ?

L’information, l’autre carburant de la mobilité

Une information voyageurs

Une information voyageurs

On se pose ensuite la question de toutes les informations dont nous avons besoin pour utiliser un mode de transport, par exemple le bus : le plan du réseau, les horaires, la localisation des points de vente, le mode d’emploi du réseau (tarifs), l’information sur des déviations, des travaux ou des perturbations, … On recense ensuite tous les « lieux », physiques ou numériques, où l’on peut trouver cette information : aux arrêts bien sûr, mais aussi sur le site de l’opérateur du réseau de transport, dans les brochures et les guides papier, par SMS, en utilisant l’une des nombreuses applications mobiles (héritage du concours open data). On peut aussi – et c’est parfois le plus simple – interroger un ami, un membre de la famille, un inconnu ou le chauffeur à un arrêt de bus … L’objectif est ici de montrer que l‘information est aujourd’hui une composante essentielle de la mobilité dans sa diversité.

Les données : de quoi parle-t-on ?

J’introduis alors par un court exposé la différence entre une donnée et une information, une donnée publique et une donnée ouverte, … On évoque aussi les données collaboratives (par exemple les alertes contrôleurs sur Twitter, avatar numérique des appels de phares sur la route). Je propose par ailleurs des éléments de typologie, notamment pour distinguer les données statiques des données dynamiques.

La chasse aux données : la mise en pratique

Dans le kit : une photo du quartier

Dans le kit : une photo du quartier

Chaque groupe de quatre étudiants se voit remettre un kit et des instructions pour partir à la chasse aux données de mobilité dans un rayon de 300 mètres autour de la Cantine numérique rennaise. Le kit contient :

  • une photographie aérienne du quartier, proposée sur le portail open data de Rennes Métropole,
  • des gommettes de couleur, pour identifier chaque mode de transport : vélo/piéton, bus/métro, car/train, voiture, …
  • des instructions pour prendre une photo à l’aide d’un téléphone mobile / smartphone (nota : la plupart des étudiants en sont équipés : pas d’argent pour une voiture, mais du budget pour un téléphone… un autre signal faible ?).

Je n’ai pas choisi le quartier par hasard : il concentre un très grand nombre de modes de transport, les gares routières et ferroviaires, des stations de vélo en libre service, une station de taxis, de voitures en auto-partage, de métro, …

La mise en commun : ce qu’ils ont ramené de la chasse

Dans la gare

Les participants se retrouvent après 45 minutes pour faire une mise en commun de leurs découvertes. Chacun présente sa carte du quartier annotée et un court rapport d’étonnement. Ils ont recensé, localisé et décrit plus de 80 points correspondants à une donnée de mobilité dans le quartier: un panneau de signalisation, un temps d’attente à un arrêt de bus, la localisation d’un ascenseur accessible aux personnes à mobilité réduite, … J’ai reçu plus de 40 photos – qui servent d’ailleurs à illustrer ce billet. L’échange se poursuit autour de quelques questions-clés : qui produit ces données ? à qui et à quoi servent-elles ? sont-elles ouvrables ou peut-être même déjà ouvertes ? que pourrait-on imaginer avec ?

Mettre en lumière la complexité et les enjeux

L'état de fonctionnement de l'ascenseur du métro : une donnée ouverte

L’état de fonctionnement de l’ascenseur du métro : une donnée ouverte

L’exercice aura aussi permis de mettre en lumière quelques curiosités. Par exemple, dans la gare de Rennes il y a deux ascenseurs situés de chaque côté des escalators et séparés à peine de quelques dizaines de mètres. Celui de gauche relie la station de métro, le hall de la gare et l’accès au premier étage (où se situent les guichets et l’accès aux quais). Il est géré par l’exploitant du métro, Keolis Rennes (filiale de la SNCF) et son état de fonctionnement est une donnée ouverte – c’est à dire qu’elle est disponible pour la réutilisation via la plate-forme open data de l’opérateur.

Celui de droite est apparemment géré par Gares & Connexions (une autre filiale de la SNCF) qui ne fournit pas cette même donnée en mode ouvert. Si l’on cherche à développer un service en ligne pour l’accès des personnes à mobilité, la différence est très nette. Cet exemple, relevé par les étudiants, permet d’illustrer concrètement la complexité institutionnelle du sujet.

Une information dynamique

La gare routière, toute proche, révèle elle aussi l’enchevêtrement des acteurs qui produisent, gèrent, détiennent et potentiellement ouvrent des données liées à la mobilité. Les lignes interurbaines sont gérées sous la marque Illenoo (autorité compétente : le département), mais le lieu accueille aussi un service de transport par car de la Région Bretagne, et un service assuré par la SNCF… Le parking tout proche est pour sa part sous la gestion d’Effia.

Le taxi, parent pauvre de la donnée ouverte ?

Le taxi, parent pauvre de la donnée ouverte ?

Les étudiants ont par ailleurs noté qu’il est un service de mobilité qui ne fournit que très peu d’informations à ses usagers : les taxis. En effet à la station toute proche, l’information se réduit à deux numéros de téléphone, … On imagine pourtant que les systèmes de localisation et de dispatch qu’ils utilisent pourraient fournir des informations très précieuses pour les clients potentiels – par exemple le nombre de taxis présent sur la zone à un instant T, une indication de la durée d’attente moyenne, …

On constate que si la majorité des services de mobilité manient et utilisent des données (taxis y compris), peu les ouvrent encore pour en permettre une réutilisation par des tiers.

Une alternative : le crowdsourcing ?

Pour finir, une anecdote. Les étudiants avaient pour mission de prendre des photographies à l’extérieur mais aussi à l’intérieur des gares. Or, en raison du plan Vigipirate il est interdit de prendre de telles vues et l’un des groupes se l’est vu rappeler gentiment mais fermement par les forces de l’ordre en patrouille dans la bâtiment… L’idée d’une collecte par les usagers eux-mêmes (en mode crowdsourcing), comme réponse à la complexité institutionnelle, se heurte donc à de nouveaux obstacles…

Epilogue

Ce séminaire a été l’occasion de tester une version beta de cet atelier. Dans une prochaine édition, et avec plus de temps, nous pourrions imaginer prolonger cette chasse aux données sur des supports numériques, en abondant des services existants (Open Street Map) ou en construisant de nouveaux jeux de données concernant « toute la mobilité du quartier en données ouvertes »… A suivre.

Merci aux participant-e-s à cet atelier, à Christophe Carriou organisateur du séminaire Cultures numériques, ainsi qu’aux « invités spéciaux » Hugues Aubin et Sébastien Dupas (@instantarchi) pour les photographies.

7 réflexions au sujet de « [Atelier] Comment parler des données ouvertes à des non-développeurs ? »

  1. Merci encore pour cette initiative, particulièrement dans ce lieu « carrefour » qu’est La cantine numérique rennaise aux Champs libres à 2 pas de La Gare de Rennes.
    Utile aussi que l’atelier soit ouvert et public dans un souci d’interdisciplinarité (;
    Oui, à suivre, pourquoi pas ailleurs comme du coté des écoles d’architecture par exemple?

  2. Ping : Veille remontée information participative (Pub / Pv) | Pearltrees

  3. Ping : Animer l’open data ? | données ouvertes

  4. Les données de mobilité sont assurément au cœur du processus. Peut on penser que cet intérêt trouve aussi ça source dans la dimension que prend la donnée mashupée avec la donnée des sensors du smartphones (GPS, accéléromètre…) Les qualités du support de diffusion génèrent ainsi, une donnée augmentée, une forme de dataviz mobile ordonnancée par l’application et immédiatement utilisable…

    J’ajoute une pastille sur la carte avec le point d’information multimodale KorriGo, ou l’on trouvera les informations permettant d’interpreter l’environnement et autres suptilités. Une forme de MétaDonnée ?

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  7. Ping : Understanding Open Data - E-media

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