Rendre visible les données ouvertes de Rennes, Nantes et Marseille

Comment rendre visibles les données ouvertes ? J’ai déjà eu l’occasion de raconter l’atelier que j’ai animé à Rennes pour les étudiants de Sciences Po sur le thème des données de mobilité dans la ville. J’ai eu l’opportunité de proposer deux nouvelles sessions, l’une à Nantes lors de la Semaine européenne de l’open data, et l’autre à Marseille lors des rencontres régionales Open PACA. Je vous propose un regard croisé sur ces 3 ateliers…

1 – La chasse aux données en quelques mots

Pour rappel, l’ambition de cette animation est de fournir en 2 heures les éléments de base pour comprendre les données ouvertes et être capable de les repérer dans la ville. La thématique de la mobilité a été choisie pour de multiples raisons, déjà amplement détaillées dans de précédents billets. Chaque atelier regroupe une douzaine de participants et se déroule en 3 temps. On débute tout d’abord par une séance de remue-méninge collectif : « Comment se déplace-t-on aujourd’hui à Rennes / Nantes / Marseille ? Quelles sont les informations nécessaires pour se déplacer en vélo / en bus / à pied / en voiture ? ». Un court exposé théorique permet de faire la distinction entre une donnée et une information, une donnée publique et une donnée ouverte.

Chaque groupe (de 3 à 4 participants) se voit remettre un plan du quartier (une photographie aérienne ou une carte Open Street Map), des gommettes de couleur correspondant à des modes de déplacements (en l’occurrence : la voiture individuelle, le bus et métro, le vélo). Panneaux de signalisation, fiche horaire de bus, information de voirie, … Tout ce qui permet de se déplacer est répertorié et photographié. La dernière partie de l’atelier est consacrée à une mise en commun de nos « découvertes » et surtout à une première lecture critique des données (ou de leurs artefacts pour être plus exact) : à quoi et à qui sert cette donnée ? Qui la collecte et la gère ? Quelle réutilisation peut-on en imaginer ?

2 – Rennes, Nantes et Marseille : les terrains de notre chasse aux données

La Cantine numérique rennaise a accueilli la première session en mars 2012. Situé au sein de l’équipement culturel Les Champs Libres, le lieu est à proximité immédiate du quartier de la gare, hub important des transports rennais. On y trouve notamment les gares routières et ferroviaires, une ligne de métro, de nombreux arrêts de bus urbain, des stations de vélo en libre-service, …

La seconde session s’est déroulée en mai 2012 à la Cantine numérique de Nantes et le terrain choisi pour notre chasse était les environs de la place du Commerce, lui aussi un hub important des transports de la ville (stations de tram, bus, parkings souterrains, stations de vélo en libre-service, …) bien que plus éloigné de la gare. A noter, les nantais sont les seuls français à pouvoir jouir d’un mode de transport ancestral : l’éléphant (quoique sous une forme largement modernisée et plutôt destinée aux touristes).

Les rencontres régionales de l’open data en région Provence Alpes Côte d’Azur ont fourni le cadre de la troisième session à Marseille en juillet 2012. L’atelier s’est déroulé dans les environs immédiats du siège du Conseil régional, dans le quartier de la Porte d’Aix. Si vous êtes déjà venus à Marseille en voiture, vous connaissez cet endroit car jusqu’à récemment c’était la fin de l’autoroute… Mais le quartier est aussi desservi par le métro et de nombreux bus.

J’ai détaillé les terrains de notre chasse aux données car il me semble évident qu’ils ne sont pas étrangers aux différents résultats obtenus. La session rennaise a fait l’objet d’un compte-rendu détaillé, je vous invite donc à le consulter. Voici les points marquants de mon rapport d’étonnement pour Nantes et Marseille.

3  – En vélo, tu iras à Nantes … mais pas toujours en open data

La part modale du vélo s’établit à environ 2% dans la capitale ligérienne (pour mémoire, cet indicateur mesure la part des déplacements qui sont effectués à l’aide de ce mode de transport), contre 4% à Rennes et 1% à Marseille (source des données Fubicy et EPOMM). Les participants nantais de l’atelier ont ainsi pu repérer de très nombreuses données et informations sur cette thématique autour de la place du Commerce : indication de pistes cyclables et de parking vélos, itinéraires vélo, …

Le service de vélo en libre-service Bicloo a attiré l’attention du groupe. En effet, la plate-forme nantaise open data propose bien un jeu de données sur le service Bicloo mais celui-ci ne concerne que la localisation des stations… et non les données les plus utiles pour les réutilisateurs à savoir la disponibilité en temps réel des vélos et des places restantes.

« Mais pourtant, le site web du Bicloo c’est bien celui de Nantes Métropole, non ? » m’a fait remarquer l’un des participants à cet atelier. Une remarque de bon sens évidemment, puisque le visiteur du site bicloo.nantesmetropole.fr devra consulter les mentions légales pour constater que le site est géré par JC Decaux, l’exploitant du système de vélo en libre-service… et non pas Nantes Métropole, dont le logo apparaît pourtant en bonne place.

Cet exemple a permis au groupe d’illustrer la différence entre une donnée et une donnée publique – JC Decaux n’exerçant pas dans le cas présent une « mission de service public » et n’étant donc pas concerné par la loi CADA de 1978. La lecture des conditions générales d’utilisation de l’application iPhone officielle de JC Decaux démontre aussi parfaitement ce que n’est pas une donnée ouverte. Le design de l’application AllBikesNow et ses écrans de pub sont en tant que tels des pousses-au-crime, en l’occurrence une véritable incitation à la réutilisation sauvage. Vu la qualité des développements internes, il sera difficile de justifier longtemps le contrôle exercé sur les données…

4  – A Marseille en voiture tu iras … et patient tu seras

Marseille, le Vieux-Port, la vue depuis Notre Dame de la Garde, les plages … J’aime beaucoup la ville, surtout depuis que j’y viens en TGV et que je m’y déplace en tram et à pied… Mais ma vision de touriste n’était pas celle des participants à la 3è session de cet atelier. Le groupe « vélo » a sillonné le quartier pendant près d’une heure et sans grand succès. Mis à part une station de vélo en libre-service, peu d’informations disponibles pour les rares cyclistes de la capitale du Sud… Le groupe « voiture » a par contre repéré plusieurs dizaines de points d’intérêt pour l’automobiliste : des parkings, des panneaux de signalisation, de nombreuses déviations, des plots pour empêcher les automobilistes de se garer sur les trottoirs, …

Devant la profusion des informations (des ordres et des contre-ordres), l’information la plus claire n’est pas toujours là où on l’attend : c’est le panneau publicitaire géant pour une grande chaîne hôtelière qui indique le plus sûrement son chemin à l’automobiliste qui veut rejoindre l’A55 et le quartier de la Joliette ! Dernier élément de curiosité : les panneaux qui indiquent le fast-food le plus proche sont très intelligemment (et sans doute aussi très illégalement) disposés. A chaque carrefour important, depuis les principaux arrêts de bus, à partir de la sortie du métro : celui qui cherche le Mac Donald’s ne peut pas se perdre !

Au-delà de leur caractère anecdotique, ces deux exemples montrent que les données utiles pour la mobilité ne sont pas l’apanage exclusif des acteurs publics ou des grands opérateurs. Si elle se veut complète, l’ouverture des données doit donc aussi impliquer ces acteurs qui ne relèvent d’une mission de service public – et échappent donc ainsi à la loi CADA de 1978 (voir à ce sujet mon précédent billet : pourquoi ouvrir ses données quand la loi ne vous y oblige pas ?).

5 – Comment améliorer cet atelier ?

L’ambition de ce format d’animation est de fournir en un temps court les bases de compréhension des données et de montrer leur réalité dans notre vie quotidienne. La thématique de la mobilité n’est au final qu’un prétexte, et je travaille d’ailleurs sur de nouveaux ateliers avec d’autres thématiques (la culture, le tourisme, la petite enfance, …).

Je pense que cet objectif de « vue d’ensemble » est à peu près atteint (si vous avez participé à cet atelier et/ou que vous souhaitez proposer des idées, n’hésitez pas à commenter ce billet). Cependant, j’en vois aussi les limites et je m’interroge sur plusieurs points :

– l’intérêt de la carte comme support de découverte : cet atelier n’est pas une cartopartie, on ne vise pas l’exhaustivité mais plutôt la diversité des points d’intérêt. La carte sert aussi à délimiter le terrain de jeu, mais est-elle vraiment utile ?

– le caractère parfois déceptif de l’exercice : cet atelier vise aussi à susciter l’intérêt et la curiosité pour les données ouvertes or parfois, comme dans l’exemple du Bicloo à Nantes, on peut en ressortir en se disant « qu’on ne peut rien faire avec les données ouvertes à ce jour… » En 2 heures on ne produit pas de réalisations concrètes, on pose juste les bases de compréhension du contexte juridique de l’open data en France,

– la capacité à porter un regard critique sur la donnée : ce format permet de montrer qu’avant la réutilisation il y a une utilisation… mais c’est à peu près tout en matière de critique de la donnée brute. Je pense que c’est en grande partie dû à la thématique retenue, celle de la mobilité qui se prête peut-être moins à l’exercice que d’autres sujets…

Je travaille actuellement à la définition de formats d’animation autour de la culture de la donnée. Un prochain billet racontera l’atelier que j’ai eu le plaisir de co-animer la semaine dernière à Brest, une pierre de plus à l’édifice d’un « truc » genre infolab. A suivre 😉

[Atelier] Comment parler des données ouvertes à des non-développeurs ?

Comment parler des données ouvertes à un public de non-développeurs ? Comment fournir les bases nécessaires pour mieux en saisir les contours, les enjeux et les limites ? Dans le cadre du séminaire Cultures numériques de Sciences Po Rennes, j’ai animé un atelier pratique qui visait à répondre, par l’exemple des données de mobilité,  à ces questions.

Une thématique : la mobilité urbaine

Le marquage au sol

J’ai choisi d’orienter cet atelier sur la thématique de la mobilité urbaine. En effet, ce thème occupe une place à part dans le domaine de l’open data :

  • les données liées à la mobilité et aux transports sont celles qui sont les plus demandées par les réutilisateurs-développeurs (tant en France qu’à l’étranger),
  • ce sont aussi celles qui font le plus souvent l’objet d’une réutilisation sous la forme d’applications mobiles, et ces dernières sont la « vitrine » la plus visible  de l’open data pour un public non-initié (voir notamment la part des applications transport dans les concours open data),
  • les confrontations entre les détenteurs et les réutilisateurs (tant professionnels qu’amateurs) préexistaient à l’open data mais se trouvent largement renforcées par le mouvement d’ouverture des données (les litiges ayant opposés la RATP ou JC Decaux à des développeurs ont alimenté la chronique),
  • enfin, le cadre juridique, technique et institutionnel est particulièrement complexe : les questions de mobilité concernent des acteurs publics multiples (à tous les échelons administratifs) mais aussi des acteurs privés (délégataires de service public ou opérateur privé hors délégation).
Le tableau des départs

Le tableau des départs

La séance réunit une vingtaine d’étudiants de Sciences Po Rennes, de l’Université Rennes 2 et de l’Ecole des Beaux-Arts. Elle débute par une question : « comment peut-on se déplacer aujourd’hui dans une ville comme Rennes ?« .

Les étudiants ont recensé plus d’une vingtaine de modes de transports différents, du métro au vélo individuel en passant par l’auto-partage ou le taxi-vélo. A mon grand étonnement, la voiture individuelle est citée en dernier dans cette liste. Faut-il y voir un signal faible ? Ou plus simplement le fait que posséder un véhicule reste un luxe pour nombre d’étudiants ?

L’information, l’autre carburant de la mobilité

Une information voyageurs

Une information voyageurs

On se pose ensuite la question de toutes les informations dont nous avons besoin pour utiliser un mode de transport, par exemple le bus : le plan du réseau, les horaires, la localisation des points de vente, le mode d’emploi du réseau (tarifs), l’information sur des déviations, des travaux ou des perturbations, … On recense ensuite tous les « lieux », physiques ou numériques, où l’on peut trouver cette information : aux arrêts bien sûr, mais aussi sur le site de l’opérateur du réseau de transport, dans les brochures et les guides papier, par SMS, en utilisant l’une des nombreuses applications mobiles (héritage du concours open data). On peut aussi – et c’est parfois le plus simple – interroger un ami, un membre de la famille, un inconnu ou le chauffeur à un arrêt de bus … L’objectif est ici de montrer que l‘information est aujourd’hui une composante essentielle de la mobilité dans sa diversité.

Les données : de quoi parle-t-on ?

J’introduis alors par un court exposé la différence entre une donnée et une information, une donnée publique et une donnée ouverte, … On évoque aussi les données collaboratives (par exemple les alertes contrôleurs sur Twitter, avatar numérique des appels de phares sur la route). Je propose par ailleurs des éléments de typologie, notamment pour distinguer les données statiques des données dynamiques.

La chasse aux données : la mise en pratique

Dans le kit : une photo du quartier

Dans le kit : une photo du quartier

Chaque groupe de quatre étudiants se voit remettre un kit et des instructions pour partir à la chasse aux données de mobilité dans un rayon de 300 mètres autour de la Cantine numérique rennaise. Le kit contient :

  • une photographie aérienne du quartier, proposée sur le portail open data de Rennes Métropole,
  • des gommettes de couleur, pour identifier chaque mode de transport : vélo/piéton, bus/métro, car/train, voiture, …
  • des instructions pour prendre une photo à l’aide d’un téléphone mobile / smartphone (nota : la plupart des étudiants en sont équipés : pas d’argent pour une voiture, mais du budget pour un téléphone… un autre signal faible ?).

Je n’ai pas choisi le quartier par hasard : il concentre un très grand nombre de modes de transport, les gares routières et ferroviaires, des stations de vélo en libre service, une station de taxis, de voitures en auto-partage, de métro, …

La mise en commun : ce qu’ils ont ramené de la chasse

Dans la gare

Les participants se retrouvent après 45 minutes pour faire une mise en commun de leurs découvertes. Chacun présente sa carte du quartier annotée et un court rapport d’étonnement. Ils ont recensé, localisé et décrit plus de 80 points correspondants à une donnée de mobilité dans le quartier: un panneau de signalisation, un temps d’attente à un arrêt de bus, la localisation d’un ascenseur accessible aux personnes à mobilité réduite, … J’ai reçu plus de 40 photos – qui servent d’ailleurs à illustrer ce billet. L’échange se poursuit autour de quelques questions-clés : qui produit ces données ? à qui et à quoi servent-elles ? sont-elles ouvrables ou peut-être même déjà ouvertes ? que pourrait-on imaginer avec ?

Mettre en lumière la complexité et les enjeux

L'état de fonctionnement de l'ascenseur du métro : une donnée ouverte

L’état de fonctionnement de l’ascenseur du métro : une donnée ouverte

L’exercice aura aussi permis de mettre en lumière quelques curiosités. Par exemple, dans la gare de Rennes il y a deux ascenseurs situés de chaque côté des escalators et séparés à peine de quelques dizaines de mètres. Celui de gauche relie la station de métro, le hall de la gare et l’accès au premier étage (où se situent les guichets et l’accès aux quais). Il est géré par l’exploitant du métro, Keolis Rennes (filiale de la SNCF) et son état de fonctionnement est une donnée ouverte – c’est à dire qu’elle est disponible pour la réutilisation via la plate-forme open data de l’opérateur.

Celui de droite est apparemment géré par Gares & Connexions (une autre filiale de la SNCF) qui ne fournit pas cette même donnée en mode ouvert. Si l’on cherche à développer un service en ligne pour l’accès des personnes à mobilité, la différence est très nette. Cet exemple, relevé par les étudiants, permet d’illustrer concrètement la complexité institutionnelle du sujet.

Une information dynamique

La gare routière, toute proche, révèle elle aussi l’enchevêtrement des acteurs qui produisent, gèrent, détiennent et potentiellement ouvrent des données liées à la mobilité. Les lignes interurbaines sont gérées sous la marque Illenoo (autorité compétente : le département), mais le lieu accueille aussi un service de transport par car de la Région Bretagne, et un service assuré par la SNCF… Le parking tout proche est pour sa part sous la gestion d’Effia.

Le taxi, parent pauvre de la donnée ouverte ?

Le taxi, parent pauvre de la donnée ouverte ?

Les étudiants ont par ailleurs noté qu’il est un service de mobilité qui ne fournit que très peu d’informations à ses usagers : les taxis. En effet à la station toute proche, l’information se réduit à deux numéros de téléphone, … On imagine pourtant que les systèmes de localisation et de dispatch qu’ils utilisent pourraient fournir des informations très précieuses pour les clients potentiels – par exemple le nombre de taxis présent sur la zone à un instant T, une indication de la durée d’attente moyenne, …

On constate que si la majorité des services de mobilité manient et utilisent des données (taxis y compris), peu les ouvrent encore pour en permettre une réutilisation par des tiers.

Une alternative : le crowdsourcing ?

Pour finir, une anecdote. Les étudiants avaient pour mission de prendre des photographies à l’extérieur mais aussi à l’intérieur des gares. Or, en raison du plan Vigipirate il est interdit de prendre de telles vues et l’un des groupes se l’est vu rappeler gentiment mais fermement par les forces de l’ordre en patrouille dans la bâtiment… L’idée d’une collecte par les usagers eux-mêmes (en mode crowdsourcing), comme réponse à la complexité institutionnelle, se heurte donc à de nouveaux obstacles…

Epilogue

Ce séminaire a été l’occasion de tester une version beta de cet atelier. Dans une prochaine édition, et avec plus de temps, nous pourrions imaginer prolonger cette chasse aux données sur des supports numériques, en abondant des services existants (Open Street Map) ou en construisant de nouveaux jeux de données concernant « toute la mobilité du quartier en données ouvertes »… A suivre.

Merci aux participant-e-s à cet atelier, à Christophe Carriou organisateur du séminaire Cultures numériques, ainsi qu’aux « invités spéciaux » Hugues Aubin et Sébastien Dupas (@instantarchi) pour les photographies.