Internet Actu relate récemment la rencontre organisée par France Stratégies à propos de la responsabilité des algorithmes. Daniel Le Métayer, chercheur à l’INRIA, évoque notamment le fait qu’il est souvent bien difficile de savoir ce que désigne précisement ce terme d’algorithme. « Recette de cuisine » pour les uns, « ensemble de procédés de calcul » pour d’autres et même tout simplement « programme informatique » pour les derniers.
Ce flou n’empêche aucunement le terme algorithme de fleurir un peu partout dans la presse (de moins en moins) spécialisée. Ainsi le débat actuel aux Etats-Unis portent sur l’algorithme de classement de contenu de Facebook, accusé de partialité dans la campagne des primaires (un élu du Dakota du Sud a même demandé à Mark Zuckerberg d’expliciter le fonctionnement de son système de curation).
C’est l’une des caractéristiques des mots-valise: leur imprécision est à la hauteur de leur popularité. Dès lors, on peut légitimement se demander: à qui profite le flou ? Qui a intérêt à continuer à désigner, de manière aussi vague, ces systèmes automatisés de traitement ?
Il faut tout d’abord regarder du côté des concepteurs de ces systèmes. Quand on parle de l’algorithme de Google, ou de celui de Facebook, on tend à résumer ces entreprises à un simple objet technique, a priori asexué et surement neutre. Parler de l’algorithme d’Uber ou de Facebook, se concentrer uniquement sur cela, c’est passer sous silence le modèle économique de ces organisations, le système dans lequel elles interviennent, les valeurs portées par les hommes et les femmes qui les imaginent, les conçoivent, les développent et les optimisent. Il y a de la chair derrière les algorithmes, des passions, des contraintes, des intentions, …
Ensuite le terme d’algorithme fleure bon la précision des mathématiques, des statistiques*. Parler de « programme informatique » c’est beaucoup plus trivial et cela évoque aussi davantage l’idée que le code informatique – et le développeur – sont faillibles. Si l’algorithme est paré des vertus de la science, le code lui est porteur de bugs, de dysfonctionnements, d’imperfections. D’humanité, en quelque sorte.
Enfin, il me semble que le flou entretenu n’est pas un accident. L’utilisation du terme d’algorithme tient à distance. L’objet semble hors de portée, difficile à saisir (comprendre) donc difficile à saisir (tenir). Certains concepteurs évoquent d’ailleurs la complexité des systèmes, et en particulier celles des systèmes apprenants (machine learning) pour s’excuser, par avance, de ne pas être en mesure d’en expliquer le fonctionnement, les intentions et les contraintes. Il me semble pour ma part que l’intelligibilité de ces systèmes est l’une des conditions essentielles de leur acceptabilité sociale et in fine, de la capacité à demander des comptes à ces systèmes (accountability).
* On peut faire le parallèle avec l’origine du mot « donnée » qui évoque l’idée d’un objet exogène (les données du débat), qui vient d’on ne sait où mais n’est pas censé être mis en débat.