Moderniser l’action publique par l’open data, c’est le sens du nouveau rattachement de la mission Etalab en charge de la politique gouvernementale d’ouverture des données. Cela passe notamment par la capacité à faire (enfin) jouer la boucle de rétroaction : que les données permettent d’améliorer les services publics. Revue des initiatives existantes et propositions d’actions : comment boucler la boucle de l’open data ?

Central Park, New-York
(photo NYC Parks)
En septembre dernier, j’ai suivi avec un grand intérêt l’annonce d’un hackaton dédié aux parcs et jardins new-yorkais (NYC Government DataKind). La politique open data de Big Apple reste pour moi une référence, tout comme son plan global pour le numérique.
A l’époque, je préparais des ateliers de réutilisations des données liées aux arbres du parc du Thabor et j’imaginais donc y trouver des sources d’inspiration pour des applications ou des services originaux ou ludiques… J’ai été très agréablement surpris par la qualité et le niveau des projets développés lors de cet évènement DataKind – pourtant aucune application mobile flashy n’a été développée ! Mieux, les résultats illustrent bien comment l’open data peut répondre à des questions concrètes et contribuer in fine a améliorer l’action publique.
1 – DataKind : des questions, des données, des réponses
L’organisation DataKind se propose de mettre à disposition des compétences liées aux données pour répondre à des problèmes concrets. L’ancien nom de DataKind – Data Without Borders (données sans frontières) – traduit par cette ambition d’un peace corps dédié aux données. Leur slogan « Using data in the service of humanity » m’a bien fait marrer (sauver le monde par la technologie, une idée très anglo-saxonne), mais leur action est bien sérieuse. DataKind organise régulièrement des hackatons, toujours en relation avec des institutions (associations, ONG ou villes) qui accueillent l’évènement et posent les questions. Pour cette édition new-yorkaise, le partenaire était le service des Parcs et Jardins de la ville (NYC Parks). Pour vous et moi, les jardins new-yorkais cela se résume sans doute à Central Park… mais en tout cela représente 600 000 arbres d’alignements (dans les rues) et plus de 2 millions dans les parcs publics !
En amont de la manifestation, NYC Parks et DataKind ont identifié les problèmes qui seront soumis aux participants. J’ai retenu deux questions qui ont donné lieu à des projets : pouvons-nous prédire où une future tempête risque de faire le plus de dégâts dans nos parcs ? Les opérations préventives d’élagage ont-elles un impact sur les demandes ultérieures d’intervention, notamment par les habitants ?
Les organisateurs ont aussi recensé un ensemble de jeux de données, en grande partie déjà ouvertes sur le portail open data comme tous les appels au 311 (le numéro des services urbains pour les demandes d’intervention), les travaux programmés (work orders), mais aussi des sources extérieures (les principaux événements météorologiques, l’historique des interventions liées aux précédentes tempêtes). L’ensemble a fait l’objet d’un brief que l’on peut retrouver en ligne.
Les participants (des data-scientists) n’ont pas développé des services en ligne, ils ont proposé des modèles pour répondre aux questions posées. Ainsi, un groupe a proposé un index de risque de tempête pour chaque bloc, en fonction des arbres que l’on y trouve et de leur ancienneté. Un autre a remis en question, à partir des données brutes et d’un modèle mathématique, l’intérêt de la politique préventive d’élagage. Bref, ils ont répondu à des questions concrètes et ont permis d’améliorer l’action publique sur ce champ précis.
2 – La boucle de rétroaction de l’open data V.2
Par contraste, l’exemple de DataKind illustre bien ce qui fait aujourd’hui défaut dans notre approche de l’open data : nous ne bouclons pas la boucle. Le modèle actuel est le suivant : un acteur public (ou privé) met à la disposition des réutilisateurs des données ouvertes. Ces derniers développent des services, des applications, souvent utiles, parfois ludiques mais bien souvent aucune d’entre elles n’impacte la manière de faire de l’organisation. Avec des horaires de bus on peut certes développer des services d’information voyageurs, mais l’on peut aussi analyser la desserte de chaque quartier et – potentiellement – proposer des améliorations au gestionnaire du réseau de transport.
Ce qui nous manque donc c’est l’application de la boucle de rétroaction (feedback loop) : une organisation ouvre des données, qui servent ensuite à des tiers pour améliorer les actions de l’organisation… une sorte d’open data version 2.
Le principe de la boucle de rétroaction est l’un des éléments fondateurs de la cybernétique (j’ai eu l’occasion dans mon livre d’évoquer le lien entre l’open data et les théories de Norbert Wiener). Vous pouvez en voir un exemple à l’oeuvre dans la plupart des villages de France avec l’affichage en temps réel de la vitesse de votre véhicule… Il suffit d’offrir au conducteur une information qu’il possède pourtant déjà sur son tableau de bord pour qu’il réduise en moyenne de 10% sa vitesse… Cet article de Wired raconte la genèse de ce dispositif et explique pourquoi l’efficacité n’en diminue pas avec le temps.
3 – Des projets pour l’action publique
Je reviens sur l’exemple de New-York. La ville s’était déjà illustrée par son équipe interne de data-scientists et son approche très pragmatique des données (tant big data que open data). Toutes les villes n’ont pas les moyens du maire de New-York, mais la plupart des acteurs publics qui ouvrent aujourd’hui leurs données pourraient travailler sur la boucle de rétroaction. Je vous propose deux exemples pour tenter de vous en convaincre.
Projet 1 : du marketing achats avec l’open data
Une partie de la modernisation de l’action publique passe par une maîtrise des dépenses. Mieux acheter est une source importante d’économies. L’open data pourrait faciliter la mise en place d’une démarche de marketing achats. L’opérateur des transports londoniens (TfL) met en ligne sur son portail open data toutes les dépenses d’achats et d’équipements supérieures à 500 livres. Ainsi, un nouveau fournisseur peut se positionner pour faire la meilleure offre, en connaissant le détail et le prix des prestations acquises par TfL…
Projet 2 : les « Happy Hours » de la piscine municipale
Dans ma ville, on peut accéder à la piscine municipale avec sa carte de transport (genre pass Navigo). La mise en place du système a accompagné l’introduction d’une tarification horaire, où l’on paie en fonction du temps passé dans le bassin. Les services de la ville disposent donc d’une grande masse de données sur la fréquentation des piscines et le système fournit aussi une vision en temps réel du nombre de nageurs.
Comme tout équipement, la piscine municipale connaît des pics de fréquentation, certains liés à des variations saisonnières (été/hiver) ou à la météo du moment… En ouvrant la donnée de fréquentation en temps réel, on pourrait informer les usagers de l’affluence qu’ils risquent d’y trouver à cet instant. Mieux, en anonymisant les données de fréquentation on pourrait proposer, sur le modèle de DataKind, d’imaginer des formules d’incitation pour aller nager aux heures creuses.
L’idée : j’ouvre 3 mois d’historique de fréquentation, je fournis des données sur les événements météorologiques ou autres (les vacances scolaires, …) et je lance un challenge avec une question : « aidez-nous à définir les Happy Hours de la piscine !« .
Les deux exemples présentés ici sont plutôt anecdotiques, mais ils sont réalisables à plus ou moins court terme. On peut aussi imaginer travailler sur d’autres champs de l’action publique avec des questions plus ambitieuses... Celles du logement ou de la prise en charge de la petite enfance par exemple.
4 – En pratique, comment faire ?
Comment boucler la boucle de l’open data ? Il va tout d’abord falloir revoir notre manière de procéder. Les formules d’incitation (type concours ou hackatons) ne devraient pas partir des données disponibles mais plutôt des questions et des problèmes concrets. Bien entendu, la puissance publique n’est pas la seule à pouvoir définir les problèmes, la société civile peut aussi jouer son rôle (DataKind a par exemple organisé un évènement londonien avec plusieurs ONG).
Le plan de route serait donc le suivant :
– définir une question, un problème de politique publique,
– documenter la problématique et les principaux enjeux,
– recenser, lister et ouvrir les jeux de données pertinents,
– s’appuyer sur des médiateurs tiers,
– proposer des challenges, des concours, des hackatons pour inviter les participants à répondre à la question… (souvenons-nous que les sites data.gov et challenge.gov vont de pair),
– faciliter la réintégration des résultats au sein des services et des administrations (leur implication est amont dans la définition des questions est un bon levier pour cela).
Il ne s’agit pas pour autant de brider les réutilisateurs dans leur créativité, libres à eux de participer ou non aux actions proposées. Libres à eux de développer l’application de leurs rêves.
Mais n’ayons pas non plus peur de partager les questions qui se posent quotidiennement dans l’action publique. Ainsi, nous ferons le lien entre l’ouverture des données publiques et la cohérence des politiques publiques, un argument développé par ceux qui ne veulent pas ouvrir leurs données…
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