Pourquoi partager ses données (quand la loi ne vous y oblige pas) ?

Nombre d’acteurs, notamment privés, s’interrogent aujourd’hui sur leur position en matière de diffusion et de partage de leurs données. Ils ne sont souvent pas concernés par la loi CADA de 1978 : ils ne remplissent pas de mission de service public ou font partie des nombreuses exceptions prévues par le législateur … Mais au-delà de l’obligation légale, il y a souvent un intérêt réel à partager ses données.

Ce billet tente de répondre à la question : mais pourquoi donc devrais-je diffuser mes données si la loi ne m’y oblige pas ? Je propose une grille de lecture pour comprendre les stratégies à l’oeuvre dans ce domaine. Une remarque préalable et importante : les exemples cités couvrent l’ensemble des trois univers de diffusion détaillés dans un précédent billet et pas uniquement la diffusion des données en open data.

La grille de lecture que je propose distingue d’abord deux axes :

– l’objectif prioritaire : s’agit-il de s’inscrire dans une démarche de transparence et/ou de participation ? Bien évidemment, les deux objectifs ne sont pas contradictoires, mais les enjeux sont différents. Si l’on cherche la participation, il faudra stimuler la réutilisation, alors qu’un pur objectif de transparence peut se limiter à la diffusion des données,

– la posture de départ : l’acteur qui réfléchit à sa stratégie se positionne-t-il en mode défensif (faire face) ou offensif (prendre ou reprendre la main) ? Le graphique que je propose illustre quelques stratégies d’acteurs et surtout des dynamiques, c’est-à-dire la capacité à passer d’une position défensive à une position offensive.

1/ Stratégies participatives en mode « offensif »

Dans les 3 premières stratégies, l’acteur diffuse volontairement (sans pression préalable) un ensemble de jeux de données dans l’optique d’en favoriser la réutilisation. Ses objectifs peuvent être de :

– « valoriser ses actifs informationnels et sa marque » [1] : en mettant à disposition ses données, on peut mieux les valoriser qu’en en limitant la diffusion sur son seul site web.

Une très bonne illustration de cette stratégie est le portail d’ouverture de données touristiques data.visitprovence.com. Face à la concurrence accrue de nouveaux sites de diffusion de l’info touristique (TripAdvisor, AirBnB, Homelidays, …) et à la diffusion de nouveaux supports (le mobile aujourd’hui, la TV connectée demain), ne vaut-il pas mieux se concentrer sur la valorisation de ses données plutôt que de s’engager dans une coûteuse course à l’audience pour ramener des visiteurs vers son site « officiel » ? Dans un tout autre domaine, l’agence d’information financière Bloomberg propose aussi des accès partiels à ses données.

– « jouer l’externalité de réseaux » [2] : la seconde stratégie est basée sur la notion d’externalité de réseaux. Les entreprises du web – par exemple Twitter – donnent accès à une partie de leurs données (via des API) à des tiers pour qu’ils développent des services et des applications tierces. Ils profitent ainsi de l’effet « boule de neige » des externalités de réseau : plus il y a d’utilisateurs du service, plus le service a d’intérêt pour un nouvel utilisateur.

– « faire développer par des tiers » [3] : cette dernière stratégie est souvent mise en oeuvre dans le domaine des transports, mais peut s’appliquer à de nombreux domaines.

Si l’on cherche à offrir un service d’information complet à ses usagers ou clients, il faut aujourd’hui couvrir une palette de plus en plus large de terminaux et de besoins spécifiques. Il faut un site web, un site mobile, des applications pour iPhone, pour Android, pour BlackBerry, pour Windows Phone, … Sans compter des services dédiés à des cibles particulières. Pour reprendre l’exemple des données touristiques, il y a sûrement intérêt à concevoir un service dédié pour les camping-caristes mais un comité départemental du tourisme a-t-il les moyens (et la volonté) de le faire lui-même ? On le voit, diffuser ses données c’est aussi valoriser sa marque.

2/ Stratégies participatives en mode « défensif »

Certains acteurs abordent aujourd’hui la diffusion et le partage de données dans une posture initiale défensive. Les deux stratégies qui sous-tendent leurs approches sont les suivantes :

– « prevenir l’usage sauvage » [4]: JC Decaux (pour son service de vélo en libre-service) ou la RATP par exemple ont été confrontés à des réutilisations sauvages de leurs données. Rappelons que les premières applications dédiées au vélo en libre-service rennais ont vu le jour avant le programme d’ouverture des données de Rennes Métropole et Keolis Rennes – et elles se sont précisément appuyées sur un usage sauvage donc non contrôlé des données.

– « contrôler ma marque » [5] : corollaire de l’utilisation sauvage des données, le contrôle de la marque est aussi une préoccupation courante. L’autorité en charge des transports londoniens (TfL – Transport for London), a ainsi mis en place un programme de contrôle de sa marque pour les réutilisateurs des données. « Don’t pretend to be us » fixe un cadre précis pour s’assurer que les clients usagers du réseau de transport seront bien en mesure de distinguer les applications « officielles » de celles développées par des tiers.

Il faut noter que nombre d’acteurs, initialement positionnés dans une posture défensive se sont redéployés de manière offensive. Ainsi TfL mentionné plus haut, mais aussi l’opérateur rennais ou new-yorkais (MTA), …

De même nombre de stratégies offensives sont des miroirs de stratégies défensives (par ex. prévenir l’usage sauvage >; valoriser ses actifs informationnels).

3/ Stratégies transparence en mode « défensif »

Pour rappel, dans une optique de transparence l’important est davantage de diffuser et de mettre à disposition des données plutôt que d’en encourager la réutilisation.

En mode défensif, je distingue deux stratégies :

– « rendre des comptes » [6] : certaines activités sont soumises à la pression publique (en particulier dans le domaine de l’énergie ou de la finance) et/ou au droit de regard exercé par un régulateur de marché. L’obligation de rendre des comptes fait alors partie des déclencheurs d’une démarche de partage et de diffusion des données,

– « datawashing » [7] : similaire à l’éco-blanchiment (greenwashing) le datawashing consiste à publier des jeux de données (présentant souvent peu d’intérêt pour les réutilisateurs) afin de se donner une image de transparence. L’opérateur d’énergie italien Enel a ainsi récemment fait parler de lui en publiant sur un portail open data dédié des données… que l’on retrouve dans son rapport annuel de responsabilité sociale et environnementale. Aux Etats-Unis, la société Nike a de même fait un effort de transparence qui n’est sans doute pas étranger aux polémiques sur les conditions de fabrication de ses produits.

On notera d’ailleurs avec grand intérêt que les compagnies les plus avancées dans le domaine de l’ouverture de leurs données sont aussi celles soumises le plus régulièrement à la critique, dans les domaines de l’énergie, de l’environnement, de la finance ou des transports…

4/ Stratégies transparence en mode « offensif »

La transparence ne se limite pas au contexte défensif. Je distingue trois stratégies déployées par des acteurs qui souhaitent (re)prendre la main :

– « répondre à un enjeu de gouvernance » [8] : anticiper la demande de transparence en publiant des données sur le fonctionnement de son activité ou de ses missions, fournir à toutes les parties prenantes (stakeholders) les mêmes éléments de compréhension et d’action. Cet enjeu de gouvernance a par exemple été souligné lors d’un rapport de la Cour des Comptes sur les transports ferroviaires en Ile-de-France,

– « (compenser) la qualité de service par l’information » [9] : pour les activités de services, le fait même de fournir une information sur la qualité du service tend à améliorer sa perception par les usagers. Un exemple : ce ne sont pas les données ouvertes par la SNCF qui font arriver les trains à l’heure, par contre il est clair que l’effort de transparence est jugé positivement par les voyageurs,

– « préparer au changement » [10] : diffuser des données peut aussi aider à préparer au changement, à poser les bases d’un diagnostic commun. Bien évidemment, cette stratégie peut être le miroir du « datawashing », donc on restera prudent dans sa mise en oeuvre… et critique quand on la verra à l’oeuvre !