Le mobile, la mobilité et l’open data


Vendredi soir dernier j’étais invité au lancement des HackDays de Transilien. La filiale Ile-de-France de la SNCF a ouvert des premiers jeux de données et organise un hackaton durant 48 heures à la Cantine de Paris. A cette occasion, j’ai traité du rapport entre le (téléphone) mobile, la mobilité (les transports) et les données ouvertes. Extrait de cette intervention. 

Pourquoi les applications mobiles pour les transports représentent-elles la face la plus visible de l’open data ? Comment expliquer le lien très fort entre le mobile, la mobilité et les données ouvertes ? Cet billet se propose d’explorer les dimensions de cette relation à trois. Une relation historique et relativement féconde.

1 – Le mobile et la mobilité : temps de transport, temps perdu ?

La téléportation, un moyen de transport ? (photo by PauliePaul)

Depuis plus de 50 ans, le temps de transport est resté globalement stable dans les pays développés. Chacun passe en moyenne une heure par jour à se déplacer – quel que soit le motif de ce déplacement (aller au travail, visiter des amis, faire du tourisme, se déplacer pour ses loisirs, …). Mais cette étonnante stabilité cache en réalité deux évolutions importantes, la première étant bien entendu l’accroissement des distances parcourues. La seconde évolution est liée à l’occupation de ce temps de transport.

On considère souvent le temps de transport comme du temps perdu, un temps à minimiser au maximum (l’évaluation économique d’un nouveau projet d’autoroute ou d’une nouvelle ligne de métro s’appuie d’ailleurs largement sur cette idée de temps à re-gagner). L’article « The Gift of travel time » publié en 2007 dans le très sérieux Journal of Transport Geography remet justement en cause ce dogme. Les deux chercheurs britanniques, sociologues des transports, se sont attachés à comprendre comment nous utilisons notre temps pendant que nous nous déplaçons.

Dans une bonne logique utilitariste, si le temps de transport est exclusivement un temps perdu, alors chacun d’entre nous devrait chercher à le réduire à zéro. D’où l’hypothèse de la téléportation que les deux chercheurs ont testé (on parle bien là d’hypothèse dans la mesure où la téléportation n’existe pas encore en dehors des films de science-fiction…) : « et si votre temps de transport était réduit à zéro et que vous puissiez vous rendre instantanément d’un point à l’autre, de votre bureau à votre salon ?« . Curieusement, peu de personnes interrogées se sont montrées intéressées par un tel scénario.

L’article explique que le temps de transport a une valeur en tant que telle pour les voyageurs. On parle notamment d’un temps de transition (transition time), d’un sas entre deux lieux, deux moments, deux rôles. Je quitte mon travail en fin de journée et mon trajet me permet aussi de me préparer à arriver dans mon foyer. Mais le plus intéressant dans cet article de 2007 est la notion de temps équipé. Si le temps de transport n’est pas exclusivement du temps perdu, c’est aussi parce que nous l’équipons d’un ensemble d’outils, numériques ou pas, pour le rendre « utile » mais pas seulement.

Equiper le temps de transport – avant l’iPhone (photo by Rockheim)

Bien avant l’arrivée de l’iPhone, on savait déjà « équiper » le temps de transport. La lecture d’un livre ou de la presse en est l’illustration. On peut d’ailleurs souligner que sans métro et RER, il n’y aurait pas de presse gratuite. La grande innovation, pour les voyageurs, date de 1979 et s’est vendu à plus de 200 millions d’exemplaires. Le Walkman propose une expérience inédite, celle de l’écoute musicale en ballade qui permet de se re-créer une bulle personnelle au milieu des autres passagers. En un mot, d’individualiser un transport collectif. Les téléphones mobiles permettent de passer des appels mais aussi d’envoyer des SMS. Cette dernière fonction, moins intrusive, est largement répandue dans les transports. Le succès de l’i-mode au Japon au début des années 2000 préfigure celui de l’Internet mobile. On explique d’ailleurs en partie cet engouement des japonais pour l’i-mode par le fait qu’ils sont de grands commuters

2 – Le smartphone : gagner du temps et faire passer le temps

Le smartphone réconcilie les deux temps du transport. Lorsque je consulte les horaires de passage de mon RER, que j’identifie la sortie la plus proche de ma correspondance, que je prépare mon prochain déplacement en réservant un billet de train et une chambre d’hôtel, que je confirme à ma compagne que je vais bien chercher notre fille à la crèche, je gagne du temps. Mais au cours du même trajet, je vais aussi regarder les résultats de mon équipe de foot favorite, visionner une vidéo de ma fille, perfectionner mon niveau à Angry Birds ou Cut the Rope, commenter la photo d’un ami sur Facebook ou signaler via Twitter qu’il y a des contrôleurs à Saint-Lazare… Bref je vais faire passer le temps (ou le « tuer »).

Le lien fort entre smartphone et mobilité tient en partie à cette double dimension de time-saver et time-killer. La proximité entre l’outil (le téléphone mobile) et l’activité (se déplacer) est naturelle : ils ont des gènes en commun.

3 – L’open data et le mobile : pourquoi d’abord des applications mobiles ?

Les applications mobiles représentent la face la plus visible de l’open data – au risque d’ailleurs d’occulter toutes les autres réutilisations possibles des données ouvertes. Comment peut-on expliquer cette sur-représentation ?

Apps For Democracy : l’un des tous premiers concours open data

Cela tient en partie au mode d’animation principal de l’open data, à savoir les concours. Les premiers concours de réutilisation des données ouvertes (Washington D.C., New-York, San Francisco, Chicago, Londres, …) sont des concours d’applications mobiles. Le contexte technologique n’y est sans doute pas étranger : dans les années 2008-2009 les applications mobiles deviennent à la mode. Quand Rennes lance son concours en 2010, l’accent est clairement mis sur ce type de réutilisation (comme plus récemment à Nantes ou en Saône-et-Loire d’ailleurs). L’open data des territoires oriente aussi les réutilisateurs vers des services utiles au quotidien – et les applications mobiles en font partie.

Il y a d’ailleurs une certaine ironie de l’histoire à faire des applications mobiles la face la plus visible de l’open data. Comme je l’ai déjà souligné dans un précédent billet, il n’y a pas d’open data sans open source. Or, que peut-on imaginer de plus antinomique à l’ouverture qu’une application mobile pour iPhone ? Si Tim Berners-Lee était déjà mort, il se retournerait dans sa tombe !

4 – La mobilité, une place à part

Enfin, la question de la mobilité et des transports occupe une place à part dans le domaine des données ouvertes. La demande des réutilisateurs est forte (voir par exemple les résultats de l’enquête menée par Socrata en 2011 ou celle réalisée pour mon bouquin en France). De tous les jeux de données ouvrables, ce sont ceux qui concernent la mobilité (au sens large : les transports collectifs mais aussi le vélo, la marche à pied, les parkings, …) qui sont les plus demandés.

C’est aussi dans le champ de la mobilité que l’on trouve le plus de réutilisation « sauvage » en cas de non-ouverture des données. Le cas de CheckMyMetro a été largement médiatisé, de même que les multiples déboires des développeurs avec l’exploitant du Vélib’.
Lors de mon récent déplacement à Montpellier, j’ai découvert le travail remarquable du développeur qui a crée Api Tam, une API qui permet d’interroger les horaires du réseau de transport montpelliérain. C’est du grand art : au lieu de développer une application mobile, il a conçu des outils qui permettent à tous les réutilisateurs d’utiliser les données pas encore ouvertes par l’opérateur local de transport (la TAM) … En prime, il reste fidèle à l’open source puisque tout est redistribué sur GitHub.

La demande pour ce type de données est forte et elle se traduit aussi par de nombreuses réalisations concrètes. La majorité des applications mobiles développées dans le cadre des concours (tant aux Etats-Unis qu’en Europe) ont un rapport avec cette thématique.

En conclusion, on voit donc bien que le lien entre le mobile, la mobilité et l’open data est fort et fécond. Reste la question de l’oeuf et de la poule, que j’ai encore un peu de mal à identifier avec précision. Est-ce que l’on a beaucoup d’applis de transport parce que les concours ont orienté les réutilisateurs vers ce type de développement ? L’appétit pour les données transport vient-il justement de cette orientation particulière qui date des années 2008-2009 ou est-elle plus générique ? Vos commentaires et éclairages sont les bienvenus !

2 réflexions au sujet de « Le mobile, la mobilité et l’open data »

  1. Ma vision est un peu différente, effectivement le mobile est hyper pertinent dans un contexte de déplacement où l’accès à l’information sur le terrain est primordiale…. mais le succès de l’opendata (et de la réutilisation sauvage) dans le domaine des transports est principalement dû au retard énorme des sociétés de transport pour fournir des applications mobiles à leurs usagers… pour exemple Rennes précurseur dans l’Opendata n’avait pas à l’époque de l’ouverture des donné, d’application ou site web mobile… d’ailleurs le succès de l’opendata a permis à la STAR de ne pas lancer un tel projet et de simplement communiquer sur les applications des réutilisateurs.
    A l’inverse, les sociétés de transport ont toutes des sites web (plus ou moins bien faits) du coup le développement de site web par les réutilisateurs perd complètement de son intérêt, c’est beaucoup moins motivant…
    Sur Bordeaux, j’ai lancé un site web mobile (ibordeaux.fr) en 2009 en utilisant sauvagement les données…à l’époque on ne parlait pas encore d’opendata…. ma principale motivation a été de créer un service pratique me facilitant l’utilisation des bus/tram en utilisant mon iphone, le site web existant étant inutilisable sur mobile !

  2. Il me semble que c’est dans les transports et la mobilité que le potentiel d’utilisateurs actifs-motivés-impliqué (?) est le plus important. Les questions sur ses déplacements c’est tous les jours, plusieurs fois par jour et c’est une information qu’on souhaite avoir avec soi, partout et tout le temps. C’est aussi dans ce domaine que s’expriment le plus de frustrations (cf. Twitter et autres blogs RER A)

    C’est pour moi la raison essentielle du tropisme transports/ mobilité dans le domaine de l’open data à la fois des collectivités et des développeurs.

    Les déchets, la démocratie locale, la lecture en bibliothèque publique… ce ne sont pas des sujets qui mobilisent les foules. Enfin, avec des données libérées pour des zones géographiques finalement très restreintes, c’est dans la mobilité que le potentiel d’utilisation effective (et de ROI…) est le plus important. Quand on aura des données sur l’ensemble des déchetteries, politique de tris de l’ensemble du territoire français on en reparlera… si on est encore là.

Les commentaires sont fermés.