ACTE 1 - OBAMA
Le 21 janvier 2009, le 44 ème président des Etats-Unis prend ses fonctions. Barack Obama signe ce jour-là trois mémorandums, dont deux concernent le gouvernement ouvert et la transparence. C’est un acte politique majeur, qui marque un engagement fort de la part de la nouvelle administration et est souvent cité comme une étape importante pour l’open government. Un acte fondateur ?Peut-être, mais fruit du hasard, sûrement pas.
ACTE 2 - O'REILLY, LESSIG ET LES AUTRES
Près d’un an avant l’entrée en fonction d’Obama, un groupe d’une trentaine d’activistes et de praticiens de l’open government se sont retrouvés à Sebastopol en Californie, à l’invitation de Tim O’Reilly et de Carl Malamud. On connaît bien le premier : auteur et éditeur américain, il a souvent été à l’avant-garde des mouvements de l’informatique et de l’Internet, de l’open source jusqu’à l’expression-même de Web 2.0 qu’il a défini et popularisé. Carl Malamud est une figure moins connue, du moins en France mais tout aussi intéressante. Ingénieur, il est notamment à l’origine des protocoles qui permettent la diffusion de la radio sur Internet. Il s’est ensuite beaucoup investi dans la mise en ligne des informations gouvernementales.
L’invitation mentionnait déjà l’ambition de la rencontre : définir les principes de l’open data et, si possible, les faire adopter par les candidats à l’élection présidentielle qui devait se dérouler l’année suivante.
La photographie du groupe ressemble à un Who’s Who de l’open government et du mouvement free culture. Outre O’Reilly et Malamud, on y reconnaît Lawrence Lessig, professeur de droit à Stanford et créateur des licences Creative Commons mais aussi les fondateur de GovTrack.us (l’un des tous premiers sites de suivi de l’activité du gouvernement fédéral), My Society (qui a mis en place au Royaume-Uni le site FixMyStreet) et d’EveryBlock (initié à Chicago, la ville d’Obama)… Diverses fondations y sont représentées dont bien sûr la Sunlight Foundation (co-sponsor de la rencontre avec Yahoo et Google) et l’Electronic Frontier Foundation (EFF).
Le groupe a échangé pendant deux jours afin de définir les 8 principes qui permettent de définir le concept d’open government data. On notera que le fruit de leur travail est passé à la postérité, car ce sont d’ailleurs souvent ces principes que l’on cite encore aujourd’hui – la Sunlight Foundation a par la suite rajouté deux principes à cette liste, dont la gratuité (cet épisode mériterait à lui seul un billet, j’y reviendrais ultérieurement).
ACTE 3 - STALLMAN ET RAYMOND
A l’issue de la réunion, Lawrence Lessig donne une interview où il compare l’effort de définition de l’open government data à celui réalisé par le mouvement open source. Arrêtons-nous un instant sur cette comparaison. Près d’une dizaine d’années avant cette
rencontre à Sebastopol, une ligne de fracture apparaît dans le domaine du logiciel libre entre les tenants du free software (Richard Stallman en tête) et les promoteurs de l’open source, menés par Eric S. Raymond (l’auteur de la Cathédrale et le Bazar). Le premier mettait en avant des vertus politiques et morales dans les valeurs du logiciel libre – il insistait beaucoup sur la notion de liberté. Le second trouvait que le logiciel libre avait avant tout une supériorité en termes de performances et que si on voulait favoriser une adoption plus large de ces outils, il fallait mettre de côté le discours en termes moraux – d’où l’idée aussi de promouvoir le terme d’open source plutôt que de free software. La biographie de Richard Stallman (Libre comme Liberté, éditions Framablog) revient en détail sur cet épisode.Tim O’Reilly a été l’un des plus ardents promoteurs de l’open source. Et, près de dix ans plus tard, il perçoit clairement l’intérêt à poser sa propre définition de l’open data…
ACTE 4 - (OPEN GOV) DATA ou OPEN (GOV DATA) ?
La définition proposée par le groupe de Sébastopol ressemble d’ailleurs davantage à celle de l’open source qu’à celle du free software. A aucun moment, il n’est fait mention de principes politiques ou moraux (même pas en introduction). On aurait pu imaginer que certains de ces principes fassent explicitement appel aux valeurs politiques de l’ouverture, de la transparence, de la société ouverte, … Les rédacteurs se sont concentrés sur l’expression de critères techniques – et non moraux.
Le titre de leur déclaration (8 principles on Open Government Data) est par ailleurs source de malentendus. Pour reprendre l’expression d’un chargé de mission de la Banque Mondiale, l’expression « Open Government Data » peut se comprendre de deux manières. (Open Governement) Data met l’accent sur la transparence de l’action publique (l’expression de gouvernement ouvert désignait traditionnellement la publication d’informations inédites sur les affaires publiques) alors que « Open (Governement Data) » est davantage porteur d’une promesse de participation.
Participation, transparence : voilà les deux principales promesses politiques de l’open data. Certains universitaires anglo-saxons (voir notamment l’analyse de Yul et Robinson aux Etats-Unis et les articles publiés dans le dernier numéro de Community Informatics) soulignent déjà les tensions entre ces deux promesses, et l’une des principales responsables du programme open government d’Obama, Beth Simone Noveck regrette le choix de ce terme pour décrire son action. Nous verrons dans un prochain billet pourquoi les promesses de transparence et de participation peuvent potentiellement s’opposer … et comment elles prennent forme en France.